top of page

Accueil

RENCONTRE AVEC PASCAL LIEVRE

 

mardi 19 avril 2016 à 14h

Lycée Jean Rostand, 361 Grande rue, Roubaix 

entrée libre

ENTRETIEN

Conversation réalisée par mail à propos de la conception de la nouvelle installation de Pascal Lièvre intitulée Rêver l’obscur, 2016. L’artiste nous parle de ses intentions, de ses choix et de la forme fugace de son dispositif performatif qui se répète sans fin.

27/11/2015

Pascal,

 

Je me rappelle de la première fois que j’ai découvert, dans ton atelier et sur petit écran, un extrait de ta nouvelle installation Rêver l’obscur, 2016, que tu projettes à l’Espace Croisé, dans un déploiement multi-écrans simultané. Immédiatement deux mots me sont venus à l’esprit : légèreté et gravité. J’ai beau savoir que tu traces de façon consécutive dans des paillettes noires - qui en appellent à une certaine brillance - le nom de 100 féministes que tu as répertorié, je pense aussi au sable volcanique, à cette lave éteinte devenue noir poussière. C’est alors que je recherche le titre de cette chanson de Barbara Carlotti dont le clip a été tourné dans les Canaries, à Lanzarote sur une des plages volcaniques au pied du Timanfaya. « L’amour, l’argent, le vent », ce très beau titre à lui seul énonce nos sujétions. J’avais retenu du clip les brassées de grains noirs, la sensualité, l’ambiance atmosphérique, le temps qui s’écoule, la vulnérabilité, une délicatesse du toucher qui dans ton installation Rêver l’obscur, 2016, transforme les grains en paillettes.

Puisqu’un nom de femme apparaît et disparaît pour céder la place à un autre, on se demande comment as-tu concrétisé cette mise en scène et sur quels critères choisis-tu les femmes que tu distingues ? Seraient-elles toutes décédées, par exemple, pour en simuler l’oubli ? Car il y a quelque chose qui relève du défunt ou au moins du fugace en faisant apparaître et disparaître l’identité d’une personne. Mais est-ce plutôt, pour reprendre l’espace provisoire et instable de la plage, davantage apparenté au geste de l’enfant ou des amoureux qui se plaisent à inscrire leur nom dans le sable au déni de la marée qui monte ?

 

Mo

 

01/12/15

Chère Mo,

 

Je voudrais te préciser, que si les noms apparaissent et disparaissent, c’est surtout pour convoquer, l’oubli de toutes ces femmes. L’Histoire est encore, trop souvent, une histoire écrite par et pour les hommes. Ma vidéo Rêver l’obscur, 2016, est avant tout un travail sur cette mémoire que j’active sous forme de vidéos.

Je ne connaissais pas Barbara Carlotti. Cette chanson est magnifique, j’adore!!!!!

J’ai déjà pensé au nom écrit dans le sable. Je pense que c’est le même geste, sauf que ce sont des paillettes noires : une version dark presque goth du geste.

Voici mon document pdf, que je poursuis tous les jours. Ma méthode de travail consiste, avant tout, en une recherche sur Internet pays par pays, des féministes les plus importantes. À travers cette liste, j’essaye de montrer tous les courants qui traversent le féminisme au XX siècle, en privilégiant la diversité des pays d’origine. C’est un travail titanesque, mais très réjouissant. J’apprends, en effet, beaucoup de choses du combat des féministes chinoises, islamiques, essentialistes, queer, etc… Je découvre, partout dans le monde, les résistances au patriarcat et les combats pour faire avancer les droits des femmes. Au final, je découvre que cent féministes c’est peu par rapport aux milliers d’entre elles.

Je fais des recherches sur Internet et je croise différentes sources. Mais je privilégie, dans la mesure du possible, la multitude des territoires et les différents féminismes à l’œuvre au XX siècle. Pour certains pays, il est difficile de trouver les informations. Je ne lis que le français, l’anglais et un peu d’espagnol.

Je vois le féminisme comme une forme plastique aux facettes multiples. J’en observe les formes, les singularités et me limite à cent noms : ce qui est déjà à la fois considérable et dérisoire. Le combat pour l’égalité des droits a été le premier combat, la première vague (XIX et XX siècle selon les pays). Mais ensuite cela s’est diversifié en de multiples revendications pour certaines contradictoires, entre le féminisme islamique et le féminisme pro-sexe, on ne peut pas plus opposé!!

La vidéo fait apparaître tous ces noms qui sont pour la plupart inconnus à l’ensemble de la population. Il s’agit d’une sorte d’hommage à toutes ces femmes qui portent le combat féministe durant le siècle. La vidéo montre aussi l’effroi qu’on peut avoir en voyant disparaître les noms, de voir tous ces combats réduits au silence ou à l’oubli, elle met en forme les deux aspects apparaître/disparaître. La vidéo  prend la forme du générique d’un film sans fin, où aucune autre image ne sera visible que les noms. Pour le dire autrement c’est juste la présentation d’un dispositif performatif qui se répète sans fin. Je ne cherche pas à représenter quelque chose, mais à présenter ce dispositif qui est plutôt minimaliste. Je ne pense pas que cette vidéo ait l’ambition de représenter ces 100 féministes, mais bien plutôt de faire apparaître et disparaître des noms. Il n’y a qu’une main qui trace et de la paillette qui efface, c’est tout.

 

Pascal

 

4/12/2015

Pascal,

 

J’aime cette idée de générique sans fin. Je me demandais à te lire si tu échangeais avec des amies féministes ou avec des spécialistes du sujet qui éventuellement pourraient t’aiguiller dans tes choix. Si c’était le cas, comme tu évoques des groupes possiblement antagonistes, as tu rencontré des réserves sinon des rejets de la part de militantes mettant en cause ta légitimité par exemple ?

 

Mo

 

Mo,

 

J’échange en effet avec des amies féministes et une fois que j’aurai terminé le document pdf je l’enverrai à certaines d’entre elles, en qui j’ai une confiance absolue, pour faire valider le document, ma liste est encore susceptible d’évoluer.

Quand j’ai un doute, comme par exemple pour une féministe palestinienne, j’ai demandé à une amie féministe et palestinienne qui vit à Ramallah depuis une dizaine d’années, si je ne me trompais pas dans mon choix, de même en ce qui concerne les Québécoises… Quand on choisit de se limiter à un nombre : 100, il est vraiment difficile de ne pas commettre d’impair ni d’oublier telle ou telle. Pour l’instant, je suis encore dans l’élaboration. Je commence à filmer certains noms. Je fais des recherches et j’en parle avec des féministes. Cela se construit, c’est vivant, plastique, plein d’antagonismes divers…

Je n’ai pas de légitimité à faire ce travail, je ne suis pas spécialiste, je suis un artiste. En tant qu’artiste, je choisis de travailler les média les plus divers. Après la philosophie, je travaille le féminisme, comme une glaise, d’où je sortirai des formes plastiques. Je ne veux pas être légitime. 

 

 

Pascal

 

bottom of page