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2016

LA NUIT NE FINIT JAMAIS
programme

Les deux films nous plongent au cœur de la nuit. Des turfistes s’agitent et invectivent dans l’hippodrome de Vincennes et ils semblent être les uniques spectateurs des courses nocturnes, filmées par Matthieu Bareyre. Camille Holz filme son personnage qui se fait appeler Big Daddy, isolé volontaire ou contraint dans sa vie, négation de ce que son surnom annonce. Matthieu Bareyre filme les jeunes parieurs avec leur accord. Il partage dans la durée leur espace et leur temps. Il tente le plus possible une présence discrète, en prenant le parti de ne jamais interférer sur ce qu’ils vivent. L’approche de Camille Holtz est tout autre, elle se permet des questions, apparaît parfois à l’image tout en ménageant l’histoire de son personnage, laissant poindre les manques et les angoisses des vides.

Matthieu Bareyre 

Nocturnes

2015, 48 mn

Cécile Lestrade / Alter Ego Production

Une plongée dans les nocturnes de l’hippodrome de Vincennes, lieu à peu à peu déserté qu’un groupe de jeunes joueurs transforme chaque soir en royaume. Dans ce monde d’échos et d’écrans, filmer pendant des mois leurs calculs, leurs corps et leurs cris : capter leur force. MB

DES DEUX CÔTÉS DE L’IMAGE

J’ai réalisé Nocturnes pour vivre au plus près d’un paradoxe qui me fascine depuis longtemps : comment les hommes, de l’intérieur des systèmes pensés pour les aliéner, parviennent malgré tout, à inventer une forme de liberté ; comment, dans un lieu tel que l’hippodrome de Vincennes, construit pour toujours plus enfoncer les joueurs dans le jeu et l’oubli de la vie, un groupe de jeunes a découvert un endroit dont ils pouvaient être les rois ; et comment ces rois revivent là, chaque semaine, dans cet espace déserté, dans les pixels de ces centaines d’écrans, dans ces musiques assoupissantes, une jouissance pleine et entière à laquelle la morale ordinaire, qui ignore tout du risque absolu qu’est le jeu, n’a rien à redire.

Pendant un an et demi, j’ai accompagné Mehdi, Jimmy, Safr et en particulier Kader, foyer de mon énergie : je les ai regardés suivre, obéir donc, à l’éternel retour des courses et s’en servir en retour pour vivre d’autres vies que la leur. Dans le temps extrême du cercle, du cycle, de la répétition, ils semblaient trouver un moyen extraordinairement puissant d’épuiser leurs sens, la possibilité de sentir jusqu’à souffrir, de se livrer sans retenue à cette ivresse du sentiment qu’est le cri. Ce lieu gigantesque et déserté, ce monde bleu fantastique fait d’échos et d’écrans, et dont « l’esprit » semblait exercer une si grande influence sur eux, devenait certains soirs le simple instrument de leurs pulsions intimes.

Voilà pourquoi c’est le même souffle dans Nocturnes qui passe des cris de Kader à l’effort de l’animal et le même mouvement qui circule de son corps à la course. Voilà pourquoi le montage a été pensé pour lier constamment hommes et machines, regards et écrans, personnes et espace : tout cela ne devait faire qu’un dans le film, pulser ensemble. Voilà pourquoi je tenais autant à filmer ceux qui consomment les images et ceux qui les fabriquent, les joueurs et les médias ; voilà pourquoi je tenais absolument à montrer les deux côtés de l’image : parce que je suis convaincu que c’est toujours au cœur même de tout ce qui ne dépend pas de nous que s’affirment et se réinventent nos marges de souverainetés. MB

Camille Holtz

Big Daddy

2016, 29 mn

Quartett Production

J’ai rencontré Ivanov en faisant les vendanges avec mes amies Ombline Ley et Caroline Capelle. On a passé une dizaine de jours ensemble en huis clos entre le temps du travail fatiguant de la journée et le temps libre du soir. On s’est rapidement lié d’amitié. Dans le groupe, Ivanov était une sorte de mascotte. Grand, fort, musclé et très drôle il était au centre de toutes les attentions.

Plus tard, Ivanov nous a invité à passer un weekend chez lui en Belgique. Il nous a parlé de sa grande maison où il pourrait nous loger et du jardin où l’on pourrait faire un super barbecue. En arrivant chez Ivanov, nous avons été très surprises de découvrir que derrière la façade joyeuse et invincible que nous connaissions de lui, se cachait une grande solitude et un quotidien marqué par des rituels de rangements obsessionnels. 

 

Cette fragilité que je n’avais pas soupçonnée m’a d’autant plus touchée lorsque Ivanov nous a parlé à demi-mot de ses deux fils qu’il n’avait pas vus depuis plusieurs années. Ivanov loue cette grande maison au cas où, un jour ses enfants viendraient lui rendre visite et décident peut être de vivre avec lui. En attendant, les chambres sont laissées vides. Seule la pièce contenant la collection de chaussures d’Ivanov est remplie. Ivanov espère sincèrement revoir ses garçons, Justice et Jason. Et en même temps, la maison n’est pas très accueillante. Il aurait par exemple pu meubler les chambres pour que Justice et Jason puissent dormir chez lui et se sentir à l’aise. Je ne sais pas à quoi ressemblent les garçons d’Ivanov. Il a leurs prénoms tatoués sur les avant-bras mais il n’y a aucune photo d’eux visibles chez lui. Je n’ai pas non plus voulu savoir pour quelles raisons il n’est plus en contact avec eux.

Pour moi, ce film est à la fois le portrait intimiste d’un père à l’écart de ses enfants et une brèche dans la solitude à laquelle certaines personnes peuvent être confrontées à un moment de leur vie. 

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