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ENTRETIEN

RENCONTRE AVEC JUSTINE PLUVINAGE

projection de son film Cuisine américaine

 

mercredi 23 mars 2016 à 19h30

CAUE du Nord, 98 rue des Stations, Lille

entrée libre

 

 

 

Proposition de la Saison Vidéo 2016 au Cycle « Architectures filmées » 2016 programmé par le CAUE du Nord et le Goethe-Institut, Lille.

Justine Pluvinage participait pour la première fois à la Saison Vidéo en 2009 avec deux portraits Eliane, 2007 et Catherine, 2008 qu’elle définissait « comme appartenant à une série qui s’attache à redonner du temps et de la parole à l’autre », avec le souhait de ne pas de cerner la personne retenue. Ainsi ses portraits s’efforcent par des démarches étudiées d’aborder toute la complexité d’un être. Le film "Cuisine américaine", 2015, réalisé en deuxième année  du Fresnoy, est selon l’artiste une « plongée » dans l’immeuble Machu Picchu, à Lille, constitué de 53 logements et espaces partagés et conçu par l’architecte Sophie Delhay. Justine Pluvinage a pris le parti d’en dresser un portrait singulier à travers l’expérience de vie de ses habitants. Paroles et représentation des espaces s’entrecroisent. 

Cuisine américaine, 2015, 17 mn 30

Mo Gourmelon : "Cuisine américaine" débute avec votre voix qui introduit le contexte. Vous avez emménagé en 2013 dans une HLM neuve qui expérimente un projet sollicitant la vie communautaire et les rencontres de voisinage. Des logements, dont le votre, sont réservés à des artistes. Quel est votre statut ? (Etes vous une habitante ou une résidante ponctuelle, dont la présence dépendrait peut-être de ce projet ?)

 

Justine Pluvinage : Dans cet immeuble de 53 logements, trois ont été réservés à des artistes. Nous avons exactement le même statut que les autres habitants, locataires du HLM. Notre bail n’est pas limité dans le temps. Nous devions bien sûr être éligibles sur critères sociaux pour prétendre y entrer. À la différence des autres locataires, nous avons une chambre en plus qui est considérée comme un atelier. Le loyer de cette pièce peut nous être reversé, en échange d’activités artistiques au sein de la résidence. Ce film en fait partie. Mais il est bien plus motivé par le désir de filmer mes voisins, d’aller à leur rencontre, que de répondre aux attentes de notre « contrat » avec le bailleur social. 

 

MG : Après votre voix initiale se succèdent d’autres voix, celles des habitants et parmi elles, celle de l’architecte, sans vouloir porter de hiérarchie entre elles.

 

JP : En off, avant le titre, je précise que le logement filmé est mon HLM, et que les personnes présentes à l’écran sont mes voisines et voisins. Je trouve cela important dans une démarche d’honnêteté de situer qui parle et d’où le narrateur parle. Ce mouvement qui part de moi, de mon vécu, pour aller vers l’autre et la rencontre, est à l’œuvre dans l’ensemble de mes derniers films, et est probablement une façon d’y trouver ma justesse. En ce qui concerne l’architecte, je trouvais important de l’interviewer, de connaître ses choix et motivations dans ce projet audacieux, mais je ne souhaitais pas la différencier des habitants et donner à son discours une valeur d’expert. 

 

MG : Vous adoptez également le parti pris intéressant de ne pas faire correspondre les personnes à l’image et les voix enregistrées. Ce décalage me semble judicieux.


JP : J’ai adopté très tôt ce parti pris de ne pas faire correspondre images et voix. Les interviews sont faites au micro, sans camera, volontairement pour rendre le dispositif moins lourd et libérer la parole. Cela permet en outre de privilégé et filmé les mêmes personnes, certaines étant plus à l’aise avec l’un ou l’autre des dispositifs. De plus, cette disjonction assumée au montage, permet de glisser un espace entre le récit et le langage non verbal des images. Cet espace introduit de l’anonymat, de la pudeur peut-être, et provoque une certaine dépersonnalisation des histoires individuelles au profit de celle du bâtiment. Il s’agit ainsi de voir l’architecture, non plus comme un amas de matériaux, un agencement de lignes, mais comme un enchevêtrement de vies qui lui donnent corps.

 

MG : Justement à travers cet enchevêtrement de vies, quels ont été vos partis pris pour figurer cette architecture singulière ?

 

JP : Pour répondre à votre question, j’évoquerais l’imagerie 3D du film, réalisée par Philippe Cuxac. J’ai fait ce choix pour deux raisons. Premièrement, d’un point de vue plastique, la 3D permet de créer la déambulation continue. La caméra, sans pause ni coupure, traverse les couloirs, les murs, prend de la hauteur et plonge dans les appartements. Le film est un faux plan séquence. Il adopte le point de vue d’une seule caméra. Cette sensation d’un mouvement unique est rendue possible grâce aux images 3D et aux plans aériens filmés en drone. Le point de vue sur l’architecture se rapproche en cela du regard que l’on porte sur une maquette. L’architecte Rem Koolhaas alertait dans un entretien, que si nous continuions à construire des architectures uniquement via l’ordinateur sans se préoccuper de l’utilisation et de la vie du bâtiment par la suite, nous allions, selon lui, rapidement vivre dans « des espaces virtuels construits ». Cela me conduit au deuxième point, la question de l’idéal architectural. Les architectes ont l’ambition de créer des architectures qui influent sur le quotidien des usagers, voir même qui transforment le « vivre ensemble ». Le graphisme des images 3D en plan, en coupe, et en couleurs, rappelle l’esthétique d’un logiciel d’élaboration architecturale : Autocad. Ces images de tracés, épurées voir aseptisées, se confrontent ainsi, dans un aller retour incessant, à l’aménagement intime que chaque habitant a élaboré dans l’espace privé qui lui est alloué.

 

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