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CHRYSTÈLE NICOT

Rencontre avec l'artiste

 

SAISON VIDEO 2019

MARDI 2 Avril 2019 à 14H00 à l'E.S.A, L’ÉCOLE SUPÉRIEURE D’ART DU NORD – PAS DE CALAIS (DUNKERQUE/TOURCOING), 36 bis rue des ursulines, 59200 Tourcoing

WESTERNIZED KOREANESS = HYBRIDIZATION, AND LOVE.

 

 

WESTERNIZED KOREANESS = HYBRIDIZATION, AND LOVE. déploie une série de 6 tableaux mettant en scène des personnages archétypes, interprètes de «love-stories» élémentaires, dans lesquelles on retrouve les ingrédients des dramas coréens.

 

La construction narrative et le genre cinématographique varient d’un tableau à l’autre. Ainsi nous parcourons une palette d’échantillons de genres typiques, parmi lesquels :

 

- un huis-clos aux accents dystopiques, où des étudiants dans une salle de classe, guidés par un professeur allègre, édictent et mettent en pratique des règles arbitraires pour s’assurer le coup de foudre ;

 

- un thriller à travers lequel on suit une espionne à la recherche de son partenaire et amant disparu ;

 

- une comédie romantique sur fond de technologie futuriste ;

 

- une pièce hybride dans laquelle un chef d’entreprise lutte contre un amour irrépressible qui va à l’encontre des valeurs de la société dont il est le patron ;

 

- une télé-réalité qui nous entraîne à la suite d’une menteuse en quête de reconnaissance ;

 

- et enfin, une fable historique convoquant sursaut patriotique et envahisseurs fantasques.

 

Le caractère contingent de ces intrigues amoureuses et le motif de « happy-end » en virage précipité, constituent le trait commun de ces tableaux. Devant ces récits, nous sommes conduit à nous interroger sur les valeurs et la considération que nous accordons aux paramètres de composition d’un récit. De plus, nous nous demandons ce qu’il reste de l’essence du sentiment amoureux sur le rayonnage d’une culture globalisée offrant des modèles de catégories prêtes à l’emploi.  

 

Cette série de Chrystèle Nicot a été sélectionnée en 2018 dans l’Espace Séries d’Artistes du festival Séries Mania à Lille, dans le cadre d’un partenariat entre Séries Mania, Saison Video et le Fresnoy.

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Chrystèle Nicot, 

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Entretien :

 

Mo Gourmelon : Comment est né le projet « WESTERNIZED KOREANESS = HYBRIDIZATION, AND LOVE. » ?

 

Chrystele Nicot : J’étais à Los Angeles, il y a quelques années, dans le quartier coréen (Koreatown). Je ne connaissais rien de la culture coréenne. Mais les temples de chirurgie plastique à l’allure gréco-romaine et les joueurs de golf en extérieur qui peuplaient Western et Olympic avenues, m’intriguaient. Tout cela est resté dans un coin de ma tête, jusqu’au moment où Netflix a commencé à inonder son catalogue de dramas coréens. Je regarde énormément de séries, pas d’une manière assidue, mais j’aime bien savoir ce qui se fait.

Les dramas coréens n’ont pas échappé à mon click furieux. Mais là, je ne comprenais rien. Toutes les règles habituelles des séries occidentales, comme la continuité narrative, ou l’utilisation d’un seul genre, étaient abolies. Ce qui a attisé ma curiosité et je suis partie là bas sans trop savoir ce que j’allais y trouver. J’ai découvert une société profondément partagée, torturée, à la limite de la schizophrénie. Leur histoire était d’une violence inouïe. Les gens y changent de visage à volonté par l’utilisation de la chirurgie plastique, tentant de ressembler à des modèles de l’Ouest ou des stars de dramas, qui sont elles-mêmes inspirées par d’autres modèles. Une pression sociale était aussi plus que palpable : une pression pour réussir et être le #1. Et dans tout ce méli-mélo, une obsession pour l’amour se dégage, ou du moins pour ce que représente l’amour. C’était fortement présent. Et au final l’envie de faire un projet là bas se dégageait, notamment sur cette culture à l’apparence si ancienne, mais complètement remaniée par l’Ouest. Après le  « cesser le feu » Nord/Sud, un certain empressement à regagner une histoire est apparu, apportant par la même occasion des relents nationalistes. Cette société a su absorber tout un tas de références pour se reconstruire et désormais elle crée quelque chose qui relève de l’hybride, pas encore assumé, mais bien présent donc.

 

MG : Pourquoi utilisez vous le terme de « tableau » au lieu « d’épisode » communément employé dans la qualification des séries ?

 

CN : Un épisode incite à un autre épisode, tout du moins à une continuité. Dans WKHL, il y a certes des crossovers, c’est-à-dire des personnages récurrents et des clins d’œil entre tableaux, mais ceux-ci restent figés. Dans la même idée du tableau, l’histoire et ce qu’il se passe, sont peut être moins importants que les composants de ce même tableau. Et finalement, ce projet questionne la composition. De quoi est composé un genre ? De quoi doit être constitué un Historical Drama pour être reconnaissable, assimilable et ainsi de suite ?

 

MG : Si le spectateur a à sa disposition l’ensemble des tableaux disponibles, est-ce à dire qu’il peut opter pour son propre cheminement attiré, j’imagine, par tel ou tel titre ?

 

CN : Et bien, le spectateur n’est pas autant libre, hélas, (Ah Ah !). Un ordre prédéfini est établi afin de souligner certains crossovers et équilibrer l’ensemble des vidéos qui n’ont finalement pas toutes la même intensité, dans le cas où elles seraient présentées ensemble au même moment. TEENAGE DRAMA sert d’ouverture et de mise en place de ce qu’il va se passer. On y découvre une salle de classe, un groupe d’ados qui tente de définir ce qu’ils ont ressenti, ou plutôt ce qu’ils n’ont pas ressenti. Ils s’en remettent à des références tirées de dramas coréens comme s’ils avaient autant d’importance qu’une quelconque citation d’un Jean Paul Sartre, ou de tout autre penseur. Le professeur, tout autant largué que ses étudiants, se positionne sur le même rang des confessions en quête d’amour. Ils sont perdus, obsédés par une représentation, par des étincelles dans le regard et espèrent avoir la fameuse boule au ventre. Bref après cette ouverture, nous nous retrouvons face à un étalage, une déclinaison de love stories, qui se trouve être le fil rouge de cette série de vidéos. La fin y est systématiquement précipitée vers un recours au “happy end” où tout tourne court.

La liberté du spectateur se trouvera alors ailleurs, dans l’installation qui viendra accompagner les vidéos par exemple.

 

MG : Ainsi vous avez donc davantage conçu une série destinée à être projetée sous forme d’installation dans un espace, au lieu d’une série web, par exemple, où le spectateur est face à un écran pour déclencher les tableaux soit dans l’ordre que vous avez prévu soit dans un autre ordre, facilitant les répétitions, les accélérations…

 

CN : Les séries jouent sur ce désir du prochain épisode. Netflix le favorise automatiquement, sans que vous ayez le temps de réaliser que vous venez d’y passer bien trop de temps. Ici c’est plutôt un sentiment amer qui pourrait alors se developper puisque chaque vidéo comporte une fin et que l’on n’attends généralement pas d’une série de se finir en 10 minutes. Ces fins seront d’ailleurs systématiquement heureuses à l’égard de leurs personnages. Il n’y a rien d’autre à espérer, pas de continuité directe. Le corpus des six vidéos joue de l’esthétique des séries et des dramas en l’occurrence. Celui-ci sera présenté en installation, où le spectateur pourra naviguer d’un module à l’autre. Il pourra y découvrir d’autres pistes, d’autres liens que ceux donnés dans les vidéos.

 

MG : Comment avez vous décidé de ce nombre, six, de tableaux et comment les avez vous composés donc ?

 

CN : La décision du nombre de tableaux s’est faite en fonction des lieux trouvés et du temps imparti. Ensuite, l’écriture partait vraiment de ces endroits et de leur pouvoir fictionnel. Séoul est peuplé d’éléments relativement étranges: un terrain de basket avec un avion militaire entouré de grandes tours, la copie d’une université anglaise, une reconstitution de la France « la petite France », des statues en granit reprenant les grand thèmes de la nation coréenne (famille, patrie, travail…) placées littéralement partout dans la capitale comme un memento à destination de la population. Beaucoup de reconstitutions, puisque le pays (du moins Séoul) a été pratiquement rasé pendant la guerre civile, ainsi les palais de l’époque Choson ont été pour la plupart reconstruits. Ils sont flambant neufs et s’apparentent finalement davantage à un Disney Land qu’à un site historique. On peut d’ailleurs y observer des hordes d’adolescents, habillés en soit disant costume d’époque. En vérité, ils sont influencés par les dramas historiques et inondent de leurs selfies Instagram et les autres plateformes. Ces adolescents ne revivent pas l’Histoire, mais l’histoire des dramas, ce qui est globalement troublant.

Donc à partir de ces lieux sont venus s’ajouter des objets représentatifs d’un genre précis, et des concepts que j’avais envie d’évoquer furtivement. L’ensemble était lié par une histoire, une histoire d’amour. Puisque 97% des dramas coréens le sont et que je trouvais cette vision coréenne de l’amour fascinante, le noyau central devait forcément être celui ci!

 

MG : Comment filme-t-on en Corée du Sud ? Sur quelle équipe vous êtes vous appuyée ? Comment obtient on les autorisations de tournage ? Ou passe-t-on outre ?

 

CN : Les Sud Coréens sont très attachés à l’image, à tel point qu’il y a très peu, voire pas du tout, d’ingénieurs du son ou de mixeurs. D’ailleurs pour les dramas, toute cette partie là est généralement traitée/réarrangée en Chine. C’est finalement symptomatique de ce qui se passe là bas. Ils mettent le paquet pour épater visuellement, mais après ?

Pour éviter un total plantage, la solution la plus simple semblait de faire venir une équipe française que je connaissais déjà. Il y avait eu pas mal de quiproquos avec les acteurs sur la nature même du projet et de mon identité. Je suis une artiste et non une réalisatrice de dramas, il fallait minimiser les dégâts avec l’équipe technique ! En ce qui concerne les autorisations de tournage, j’ai eu la chance d’avoir un assistant en or sur place ; un petit génie qui parlait une multitude de langues et qui avait l’âme d’un producteur. Il a su pas mal ruser. De plus des institutions telles que : L’institut français à Séoul, le Seoul Museum of Art, Song Eun Art Space, nous ont aidés. Passer outre n’était vraiment pas envisageable. Je ne voulais/pouvais pas risquer un jour de tournage car le planning état ultra serré.

 

MG : Comment avez vous en définitive réalisé l’écriture de chaque tableau ? Écrivez-vous l’ensemble ou écrivez-vous au fur et à mesure ? Comment avez vous préparé vos séjours là-bas ? Et comment avez-vous recruté vos acteurs puisque l’équipe technique était en majorité française.

 

CN : L’écriture s’est faite sur le tas. Je n’avais pas le temps. J’ai dû tout d’abord trouver les acteurs, ce qui n’était pas une mince affaire. On m’avait donné quelques contacts à Paris avant de partir. Mais en arrivant, la plupart ne parlait pas anglais ou n’était simplement pas intéressée par un projet non payé. Le statut d’intermittent n’existe pas chez eux. La situation était assez compliquée. Je suis arrivée en janvier dernier sans savoir par où commencer ni qui contacter. J’ai tenté le casting à la volée qui s’est révélé un cuisant échec. Je me sentais ridicule d’accoster des passants par -20° et de gesticuler dans tous les sens pour me faire comprendre. Ce n’était franchement pas une bonne idée. J’ai décidé de faire le contraire de rester au chaud et de m’inscrire sur des sites. J’ai même fini, désespérée, sur Tinder par envoyer des bouées « Hey you cute. Do you want to play in a movie ? » Mais c’était définitivement une accroche douteuse.

Bref une fois les trois mois passés, mes acteurs trouvés miraculeusement à force de bouées envoyées, il était temps d’avoir un scénario. L’histoire, les dialogues, n’avaient aucune importance pour moi. Du moins c’est ce que je pensais. J’ai tenté de concéder ce travail, qui s’apparentait davantage à une plaie pour moi, à Anna Belguermi qui était, elle, occupée par son scénario de fin d’études. Puis je trouvais génial l’idée de le faire écrire par les acteurs, eux seuls étaient les plus à même de décrire, d’une manière déguisée, ce qu’ils vivaient.

Mais là les acteurs ne comprenaient pas ce que je voulais. Et surtout pourquoi, moi qui avait initié ce projet, voulais-je me délester de ce qui leur semblait être essentiel. Le tout fut au final écrit au compte goutte et ce jusqu’au dernier moment. Je n’arrivais pas vraiment à doser le jemenfoutisme total, étant donné que l’histoire même n’était pas censée être primordiale, et la pointe de cohérence nécessaire. Paradoxalement, cet exercice qui me semblait laborieux à l’époque étant passé, j’écris à présent mon prochain projet avec plaisir et sans même avoir trouvé les acteurs!

 

MG : Pouvez-vous insister sur le fait que pour vous l’histoire et les dialogues de chaque chapitre ne vous semblaient pas important, ce qui est a priori assez déroutant ? Quel est votre prochain projet qui bénéficie de votre expérience en Corée ?

 

CN: Cela venait de deux choses, une peur d’abord, j’étais terrifiée par l’idée d’écrire une histoire car cela voulait dire l’assumer et d’autant plus l’assumer dans un pays que je ne connaissais pas.  Je ne voulais pas arriver en colon et avoir des choses à dire, des choses à pointer. Mais bien sûr j’avais des tas de choses à dire, et il était plus facile de dissimuler tout cela dans un beau costume historique et un drame amoureux quelconque.

J’étais intéressée, ce qui était quelque part cohérent avec mon travail, par le fait d’extraire de ces histoires les composants les plus universels possible. Je voulais dégager, trouver, le dénominateur commun qui fait que, où que l’on se trouve, on peut comprendre les tenants et les aboutissant presque instantanément. On pourrait dire que l’on connaît et que l’on reconnaît, dans nos sociétés globalisées, toutes les histoires et les imageries qui leurs sont associées. A partir de là, je ne voyais pas la nécessité d’accabler le monde d’encore plus de récits pensés et construits. Ce type de format, réduit au minimum, résonnait également avec nos habitudes pressées de visionnage, scroller pour aller vite, regarder la fin avant le début…

Mon prochain projet se déroulera à Hong Kong, il semblerait que j’apprécie les sociétés hantées par leurs voisins rouges. À Séoul, j’étais obsédée par le make up “glossy” des coréens. Leurs visages semblaient bien en chair et brillaient. Pas une sueur dégoûtante, mais plus un glow (une lueur) synonyme de bonne santé. Du coup, il y aura forcément beaucoup de sueur dans ce prochain projet qui parlera là encore de relations amoureuses , dans un contexte post-apocalyptique. Hong Kong sera envisagée comme une arche de noé, dernier lopin de terre habitable, avec son climat tropical et une urgence biologique à assouvir (pour faire perdurer l’espèce humaine). Bref beaucoup de pression et le titre sera quelque chose comme SUER D’INTENTIONS ou INTENTIONAL SWEAT. Mais là encore, l’histoire sera perturbée et ne sera pas traitée comme prioritaire.

 

MG : Comment avez vous dirigé les acteurs, avec donc le barrage de la langue et de la culture ?

 

CN : Là encore, sans Samuel, assistant en or, je n’aurais pas été capable de faire grand chose. Très peu de Sud Coréens parlent anglais, beaucoup le comprennent, mais n’osent pas parler de peur de rougir d’un accent « imparfait ». Quant à la direction du jeu, j’avais fais en sorte que tout soit fluide en amont, pendant les répétitions, afin que l’on ne perde pas de temps pendant le tournage. Et fort heureusement pour nous, l’éducation coréenne fait que les acteurs étaient de véritables machines à apprendre. Nous étions bluffés par tant d’efficacité et de dévouement. La barrière de la langue était donc secondaire, on se débrouillait. Quelque chose clochait en revanche en ce qui concerne la culture et notamment le rapport avec les acteurs plus âgés. Je voyais Samuel se comporter tout à fait différemment avec ces derniers. Le respect était là poussé à son maximum, à tel point que selon moi cela en perdait tout sens. L’étouffante hiérarchie était partout, entre les acteurs, par exemple, ceux qui étaient diplômés d’école d’art dramatique et ceux qui prenaient « juste » des cours de théâtre. La hiérarchie se sentait aussi entre les acteurs et l’équipe française et entre les acteurs et moi-même. Samuel, qui était lui même Séoulite, m’avait avoué, entre autres aveux du même type, qu’il me vouvoyait lorsqu’il parlait coréen afin d’appuyer auprès des acteurs que j’étais celle qui dirigeait. Avait-on besoin de cela pour travailler? Il jonglait d’une culture à l’autre avec aisance et objectivité. Je me demandais souvent pourquoi il ne tentait pas de bouleverser les règles, ou de susciter un désamorçage ? Et c’était sans doute toutes ces règles, qui me semblaient absurdement précieuses, auxquelles je n’avais pas ou plus été confrontée depuis longtemps, qui me faisaient me sentir loin de chez moi. Ce qui est finalement un sentiment que l’on expérimente de moins en moins...

 

MG : Pourquoi une série comme modèle qui « s’impose » plutôt qu’un film ?

 

CN : Une série donne la satisfaction d’avoir un début et une fin rapidement. Le format mini donne l’impression d’avoir abattu une masse de travail conséquente. User des différents sous-genres utilisés par les dramas laissait beaucoup de liberté puisqu’ils en prenaient eux mêmes beaucoup. Et finalement ce format apparaît plus intéressant puisqu’il a tendance à être sur-produit et diffusé massivement et ce partout dans le monde. On sait tous, dès la première minute, qu’Antonio va finir avec sa belle sœur et qu’un sort terrible sera jeté sur le village. Cependant, l’on reste scotché, quel que soit le pays où l’on se trouve, la recette est systématiquement la même. Ce genre de comportement, déraisonnable, est paradoxal dans nos sociétés qui prônent efficacité et rendement. C’est peut-être quelque chose d'autre qui opère en dessous… Le divertissement a toujours servi à contrôler, et ses contenus, aussi ridicules qu’ils puissent parfois paraitre, ont un impact direct sur les gens en transformant la nature de leurs relations, qui sont elles, bien réelles. C’est ce que Joseph S. Nye appelait le soft power, une guerre culturelle par les médias et l’image qu’elle renvoie.

 

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