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PIERRE CASSOU NOGUES, STEPHANE DEGOUTIN et GWENOLA WAGON
 EREWHON
Rencontre avec Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon

Mardi 31 mars 2020 à 16 h 00
Université de Lille, Département ARTS

29-31 rue Leverrier, 59200 Tourcoing

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Bienvenue à Erewhon

 

« Erewhon » émerge à partir d’images qui circulent sur Internet. C’est une fable sur la vie des humains dans un monde où l’automatisation a été fantasmée jusqu’à ses extrêmes. Les Erewhoniens sont débarrassés des tâches pénibles et s’adonnent à des occupations ludiques. Des robots-phoques prennent soin des personnes âgées et ronronnent selon un logiciel d’intelligence artificielle.

 

Les onze chapitres, chacun accompagné d’un texte, s’assemblent en un film de 52 minutes. Ils sont visibles sur la plateforme « Bienvenue à Erewhon ».

 

Comme le récit de Samuel Butler, « Bienvenue à Erewhon » dresse le portrait d’une ville située dans un présent parallèle. L’automatisation a été poussée jusqu’à ses limites extrêmes. Le travail tel qu’on le connaît a disparu. Des usines produisent tout ce qui est nécessaire à la vie. Le stockage et la manutention sont externalisés dans les hangars à l’extérieur de la ville, sans humains. Des fermes cultivent et transforment les végétaux et les animaux. Des véhicules les livrent. Des logiciels optimisent le système. Les habitants sont débarrassés des tâches pénibles et s’adonnent à des occupations ludiques. Des robots-loutres prennent soin des personnes âgées et ronronnent selon un logiciel d’intelligence artificielle. D’autres robots massent les habitants ou leur préparent à manger. Des chats équipés de GPS cartographient les territoires. Des aspirateurs automatiques s’éveillent à la sensualité. Des cochons voient leur cerveau mis en réseau et augmenté.

 

Humains, animaux et plantes sont reliés dans un système de centres de données interconnectés qui traitent toute la matière mentale et où se conserve la mémoire de la ville. Des algorithmes sont susceptibles de redonner voix aux morts. C’est ainsi que l’esprit de Samuel Butler peut encore circuler à travers les images de la ville.

 

Une parenté secrète liait depuis toujours les machines et les chats. Mais en Erewhon, les deux espèces sont entrées dans une étrange sympathie. Les humains, laissés de côté dans ce jeu, se contentent d’échanger des images de chats montés sur des aspirateurs automatiques.

 

Erewhon a des yeux, qui surveillent les différents aspects des processus industriels et de la vie urbaine. Pourtant, la ville n’a rien d’un panoptique. Il s’y ménage des angles morts qui constituent, pour les habitants, des plages d’inexistence.

 

Le grand âge, la fin de vie, à Erewhon, est une période pleine de douceurs, car un robot en forme de bébé phoque est chargé de veiller sur les patients, les dispensant d’un contact humain. Le robot concentre dans son grognement tous les êtres que l’on a aimés.

 

Les habitants d’Erewhon élèvent-t-ils encore leurs enfants ou adoptent-ils des robots qui ne crient, ni ne pleurent et apprennent peu à peu à aimer ? Le temps est-il figé au stade bouche-mamelle du capitalisme, pour l’éternité ? Les habitants vivent-ils dans des spas ? Sont-ils adeptes de l’amour inter-espèces ? Deviennent-ils semblables aux plantes ? Samuel Butler est-il incarné dans une truie connectée au cerveau de la ville ?

Production

Lissandra Haulica, Irrévérence films

 

Co-production

Dispositif pour la création multimédia, CNC - Dicréam
Jeu de Paume espace virtuel

Avec le soutien de

Artec, Agence Nationale de la Recherche
Laboratoire TEAMeD, Université Paris 8

Entretien :

 

Mo Gourmelon : Une première question qui a dû vous être posée à maintes fois, mais qui est nécessaire pour notre auditoire. Comment est né votre projet EREWHON? Quelle est votre lecture de l’écrivain anglais Samuel Butler : « Erewhon ou de l’autre côté des montagnes » (paru en 1872) et « Nouveaux voyages en Erewhon »? Est ce une influence littéraire qui vous fait découper le récit en chapitres et non en épisodes selon le code habituel d’une série filmée ?

 

Pierre Cassou-Noguès, Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon :  Nous nous sommes inspirés très librement de Samuel Butler, en imaginant qu’il réapparaissait aujourd’hui et qu’il portait sur notre époque un regard à la fois candide et prophétique, en proposant des interprétations étranges des machines et des fantasmes de la Silicon Valley. C’est comme s’il regardait des vidéos sur YouTube (nous avons travaillé en foundfootage), des vidéos de chats aussi bien que des robots compagnons, et qu’il les commentait dans ses termes, avec ses références. 

 

Nous avons essayé de reconstituer une ville automatisée à partir de ses images qui traînent sur les réseaux et que, croyons-nous, Samuel Butler aurait pu anticiper, ou qui l’auraient intéressé.

 

Nous sommes tous les trois de grands fans de ce roman et c’est ce qui a été à l’origine de notre rencontre sur ce projet. Nous aimons la tournure intellectuelle étrange de Samuel Butler, qui invente sans cesse des raisonnements que l’on pourrait qualifier de « philosophie spéculative ». Les chapitres du roman qui constituent « Le livre des machines » résonnent particulièrement avec la situation actuelle, puisqu’il imagine que les machines suivent une évolution incontrôlable par l’homme, à la manière dont Darwin décrivait l’évolution des espèces animales ou végétales.

 

Chaque chapitre concerne une facette de la ville : des entrepôts gigantesques, les maisons domotisées en passant par les bureaux désaffectés, les fermes animales, même les maisons de retraites et les centres de plaisir. Le narrateur voyage entre ces espaces comme s’il visitait la ville qu’il décrit à voix haute. 

 

Ce sont des chapitres, plutôt que des épisodes. D’abord parce que nous nous inspirons d’un roman, nous le réécrivons en le replaçant à l’époque contemporaine. Ensuite, les épisodes d’une série s’inscrivent en général sur la ligne du temps (le deuxième épisode racontant ce qui vient après le premier) alors que nos chapitres s’organisent plutôt dans l’espace de la ville, qu’ils explorent zone après zone. Tout se passe au même moment. Le narrateur est dans une sorte d’uchronie, c’est un necrobot, une réincarnation algorithmique de Samuel Butler, il se déplace à la vitesse de l’information, c’est-à-dire idéalement à celle de la lumière. 

 

MG : Votre projet concerne à la fois le choix de la série comme forme et le co-working comme organisation du travail. En 2015/16, un exposition « Co-Workers – Le réseau comme artiste » présentée au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris faisait un point sur cette tendance. Comment s’est prise la décision de vous associer et comment avez-vous travaillé à trois ?

 

PCN, SD, GW : La difficulté venait de ce que nous voulions à la fois raconter une histoire cohérente ou explorer cette ville, guidés par un narrateur, et partir d’images trouvées sur le réseau : du foundfootage. Nous n’avons pas nous-mêmes tourné les plans. Toutes les images que nous avons utilisées, nous les avons trouvées, ou nous les avons avant tout recherchées (c’est un travail considérable, des journées entières). Mais comment organiser ces images accumulées en un récit cohérent ? Pas seulement quelques minutes de vidéo hypnotique mais un « vrai » film. 

 

Nous avons énormément discuté, expérimenté, raté, repris, tâtonné... Nous n’étions pas toujours d’accord (quelqu’un fait : hum, hum). Mais, d’une certaine façon, outre la recherche des images, le travail a consisté dans cette orchestration des plans trouvés. Pas seulement une orchestration du reste. C’est un matériel que nous avons remodelé entièrement : recadrage, superposition, colorisation, découpage, détourage. Sur certains plans, nous avons éliminé les humains uns à uns pour donner cette impression de lieux vides qui fera la réalité de l’automatisation. Et cela pour intégrer ces plans dans un tout. Nous avons énormément travaillé sur ce projet. Et c’était un travail ingrat parce que le but était qu’il passe inaperçu et que l’on puisse croire que les plans avaient été trouvés tels quels, en tête de liste sur Youtube, et qu’ils reconstituaient par eux-mêmes la ville automatique imaginée par Butler. Et même chose pour le texte, nous faisons croire que c’est Butler qui parle, ou son necrobot algorithmique. 

 

Le film est fondé sur un matériel récupéré, mais remodelé et réorchestré. Du reste, la musique a été composée spécifiquement pour le film par Meryll Ampe. Nous avons conçu le film en dialogue avec elle. Et nous avons collaboré avec deux assistantes monteuses Cécile Bicler et Alice de Lima, et l'équipe de graphisme Louise Druhle et Raphaël Bastide. C’était très important pour nous de trouver une plateforme qui permette d’associer les chapitres du film avec de courtes nouvelles. Notre site (www.welcometoerewhon.com) présente une forme de livre-film qui offre une approche à deux dimensions, le visionnage sur une ligne horizontale et des courtes nouvelles sur une ligne verticale. 

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